Jour 50
Souviens-toi du Jour 39 ! Nous y annoncions une suite, et la voici ‒ ou plutôt les voici, puisqu’il s’agit des plusieurs fins possibles du premier poème. Tu peux en lire une, ou toutes, tu peux commencer par le début, ou par la fin. Ou tu scrolles au pif. Ou tu demandes à ton enfant de choisir un chiffre entre 1 et 27.
- Alors par réflexe tu t’écries : désolé
- Alors tu te précipites – mais ce n’est qu’un lapin, et encore : un petit
- Alors tu découvres que tu as abattu un bâtard – un trophée de chien, remarque, c’est plus original
- Alors tu te souviens de ce que disait Deleuze : tout animal a un monde. Tu corriges : avait un monde
- Alors tu suis les traces, bon sang la bête est encore vive, tu descends dans des fossés, entres dans des taillis. Mais tu reviens sur tes pas et ne retrouves même plus les traces de sang
- Alors tu marmonnes à l’adresse de la bête : voilà ce que c’est que de se promener sans attestation
- Alors tu te dis que finalement c’est facile d’ôter la vie
- Alors ton téléphone sonne et c’est ta mère
- Alors tu t’évanouis
- Alors tu pleures parce que tu ne voulais pas ça
- Alors tu es pris soudain d’un remord inextinguible et tu fuis
- Alors toute ta vie tu restes hantée par l’image de cette marre rouge sortant d’un fourré
- Alors tu traînes non sans halètement et jurons la carcasse à travers la forêt pour découvrir trois gendarmes tranquilles près de ta voiture
- Alors d’une fougère un gendarme apparaît
- Alors tu fuis parce que tu as peur
- Alors tu t’approches de la bête mais l’amas de viande froide où la blessure fait comme une bouche qui voudrait parler – elle bouge – te semble soudain moins désirable
- Alors tu dis : « Et alors je regarde dans le fourré, il y avait un chevreuil, énorme ! » – et tes amis de rire en chœur derrière leur écran
- Alors tu dis : – Alors je regarde dans le fourré, il y avait un chevreuil, énorme ! – Ah, dit ton mari, qu’est-ce que tu as comme imagination !
- Alors tu réveilles et tu te dis que plus jamais tu ne boiras
- Alors tu te réveilles et ta première pensée est pour un double scotch
- Alors tu te demandes ce qui est étendu devant toi, est-ce que ce sont des pattes ? il y en a plus que quatre, qui ondulent avec des reflets métalliques ‒
- Alors tu disparais à jamais au bras ‒ mais est-ce un bras ‒ de cette créature saignante, mais peu rancunière et immortelle
- Alors tu passes ta langue sur tes dents et tu constates que tes canines sont plus longues que d’habitude
- Alors il y a quelque chose d’immense qui te regarde
pendant que tu fouilles dans tes souvenirs
pour trouver ce qui a pu te rendre malheureux - Alors tu entends une douce voix – mais un peu souffrante – dire depuis le fond du fourré : mon prince, grand merci, vous m’avez délivré
- Alors la bonne dame de la forêt descend du ciel et te gronde
- Alors un torrent de piano et de violon monte des profondeurs de la terre, et le diable apparaît
(à lire aussi, le poème complet, ici)
Samuel Deshayes et Guillaume Marie, 5 mai 2020