Jour 38
On a remis les invocations au goût du jour, on a ressorti les grimoires du placard, pour rompre l’isolement, on convoque dans son appart des démons en traçant au sol des pentacles avec les épices Ducros qu’on trouve dans les placards, cercles de curcuma, étoiles de paprika, runes en ras el hanout, on épice son parquet, on trace, on dessine une porte en cas d’urgence, et l’on frappe trois coups pour lui donner des gonds, une serrure et une poignée, la porte s’ouvre sur l’appart, et on laisse les démons pénétrer, on a remis les démons au goût du jour, on les a laissé envahir nos intérieurs solitaires, on ferait n’importe quoi pour voir un peu de compagnie, quitte à ébrécher les parois entre les mondes, entre celui des humains et celui des êtres aux têtes et aux jambes de bouc, aux moustaches de léopard, aux queues de serpent, à l’humour gay et aux pratiques sexuelles très premier degré. Nos apparts sont désormais peuplés. On a invité les démons à entrer, ils n’entrent que sur invitation consentie et formulée. Une fois chez vous, les démons poussent le mobilier, ils virent la table basse pour faire un dancefloor, et fouillent dans les tiroirs pour étancher leur soif d’animaux millénaires, s’abreuver à l’eau des chiottes, au vinaigre blanc, au jus de citron frelaté, aux huiles essentielles qu’on garde pour laver le sol, on se défonce la gueule avec tout ce qui traîne, canard WC, ampoules à néon, alors l’orgie peut commencer, les démons offrent d’abord leur cul aux humains, leur arrière-train intelligent, doué de parole et d’opinion, ça fait des chouettes conversation, on se badigeonne le cul d’onguents de nicotine, on frictionne les mains et le visage d’alcool à brûler, on laisse les doigts crochus s’approcher, tout doit être effectué à l’envers de ce que l’on connaît, croit connaître, du corps, de l’esprit et de la sexualité. A la fin, les démons nous auront au moins appris cela, la conviction qu’on ne pourra vivre désormais qu’à l’envers, inversés, en l’air, plus jamais contraints, droits et ordonnés mais bazardés, cul par dessus tête, en l’air, à l’envers, sinon, c’est pas drôle.
Marguerin Le Louvier, 23 avril 2020