Gestomètre du 7 avril 2022
Se mettre au lit
D’un regard sur l’horloge constater l’avancée de la nuit
Elle sera courte
Relire une dernière fois, où on en est
Se résoudre à fermer le traitement de texte
Arrêter l’ordinateur
Regarder l’heure sur le téléphone
Calculer le temps de sommeil possible
Estimer le temps qu’il faudra pour s’endormir
Se demander si le potentiel de rumination est un peu, beaucoup, à la folie élevé, ce soir
Auquel cas il serait peut-être préférable de rallumer l’ordinateur
Se résoudre en pensant à la tête qu’on aura demain matin si l’on retarde le processus d’une, de deux heures encore
Monter l’escalier dans le noir
Entrer dans la chambre dans le noir
Deviner dans l’obscurité où se trouve le bureau, la chaise
Retirer les vêtements, les poser en silence sur la chaise
Marcher jusqu’au lit
Se glisser dans le froid des couvertures
Vérifier l’heure du réveil
Image fugitive de la pile de livres sur la table de nuit
Se mettre sur le dos
Énumérer les titres des livres en souffrance sur la table de nuit
Pourquoi est-ce que je ne termine pas Ariel ? il faut que j’arrête de reculer devant L’Histoire poèmes, et quand vais-je trouver le temps d’étudier comme il faut Soleil des Soleils (Michel-Ange déjà l’écrivait dans un sonnet Pour la mort de Vittoria Colonna) ? qui pour la Lune des Lunes ? je n’en vois qu’une par la fenêtre de toit, Étoile des étoiles personne n’y a pensé cela n’a pas de sens tant elles sont à cribler le noir de la nuit, mes jambes mes bras à remuer dans les draps tièdes
Essayer la position fœtale
Penser à sa mère, à son enfance, à l’enfance sa mère, à la mère de l’enfance, perdre un peu le fil
Se retrouver sur le ventre
Se demander si
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Samuel Deshayes
Gestomètre du 31 mars 2022
Ouvrir une canette de bière
Guetter toute présence inopportune
Fermer la porte de la chambre
Se placer dos à la porte
S’agenouiller au pied de son lit
Tirer le sac en plastique opaque qui se cache en-dessous
Prendre garde au bruit de plastique froissé
Plonger la main dans le sac
Choisir au hasard une cannette
Oh joli cylindre inoxydable que ta volonté soit faite, austère et fidèle, sur les neurones de ma petite caboche d’amour qui souffre un peu en ce moment, oh oui le quotidien est un vilain fripon et il faut l’endormir autrement puisque les fessées ne suffisent plus à seconder les berceuses, oui oui oui le réveil les rues le tram les passants oh la la toute cette pesanteur il faut quitter l’île aux méchants l’île aux marchandes, s’abreuver aux brasseries des zones indus, c’est avec elles qu’on oublie le mieux la preuve mon ambition est tombée dans un fût sans jamais revenir, seule la colère a pu remonter avec les restes de ma naïveté, la crémation avait lieu la semaine dernière vous n’y étiez pas ? Pourtant les cartons d’invitation sont bien partis, oui oui Gérard a gardé les accusés réception je vous les montrerai la prochaine fois que vous viendrez prendre le blé, y’en a pour tout le monde, ah ça oui, y’en a toujours eu pour tout le monde, la preuve on en donne au fleuve afin qu’il ait sa dose, mais rien de comparable au joli cylindre inoxydable, comment ça vous n’avez pas reçu le faire-part ?
Approcher l’index du sommet de la canette
Basculer la languette argentée vers l’avant
Apprécier le « Pschitt ! »
Aspirer la mousse qui gicle, si nécessaire.
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Alix Roussios