Gestomètre du 2 mars 2023

Sortir en club un vendredi soir de décembre

Chercher une prévente sur Shotgun

Procéder au règlement

Retourner la carte bleue visa 5668 9453 324 456

Valider le paiement grâce aux trois chiffres qui composent le pictogramme au dos

Ouvrir la boîte mail

Vérifier que le e-billet avec un QR code n’est pas dans les spams

Finir de se préparer chaudement

Prendre un ecsta dans le tiroir de la table de chevet

Ne pas oublier le poppers

Mettre une dose de parfum

Se rendre à un before, autrement dit un apéro, à pied

Penser à acheter une bouteille d’un alcool quelconque

Choisir plutôt un soft en rayon

Demander les codes de la porte d’entrée

Monter à pied jusqu’au quatrième étage

Taper la bise à l’ensemble des convives

S’asseoir dans un canapé

Parler avec A. de la dernière exposition vue

Parler avec J. du dernier livre lu

Parler avec S. de la dernière polémique à la noix

S’enivrer

Repérer un garçon inconnu qui nous plaît

Demander le prénom dudit garçon

Écouter d’une oreille distraite la musique en fond sonore

Emballer sur Lolita d’Alizée

Oublier le garçon de la veille

Se souvenir de celui de l’avant-veille

A 23 heures 45, croquer le taz

Être dégoûté par son âcreté

Compter les bouteilles vides de bière kraft et de vin bio

A minuit trente-six se mettre en route

Commander un Uber

Traverser les flocons de neiges

S’installer au milieu main dans la main

On y est : le coton dans tous les membres des extrémités des ongles à la pointe des cheveux, la mâchoire serrée, la nécessité comme une besoin vital d’un chewing-gum entre les dents, la sensation de bien-être propre à ce présent pur et infini. au-delà du pare-brise, la ville offre ses plus belles lumières dans des atours de dame blanche. c’est Paris, la diva défoncée, elle a la poudre au nez et moi, fait, mes doigts dans la paume de T., je bande. enfin, à moitié, sous ecsta, tout est tendre, mais je veux les doigts de T., la main de T., la peau de T., la bouche de T. et les lèvres de T. dehors le froid n’a plus d’importance, il n’y a que le feu à l’intérieur des pores. Et déjà, les basses sur lesquelles mon cœur calque son rythme sont un doux fantasme, un appel à l’abandon avant les petites morts.

Sortir du VTC en deux deux

Faire la queue même pas cinq minutes

Payer quatre euros pour déposer un sac au vestiaire

Palper l’ambiance du club

Palper ses poches de pantalons

Palper le paquet de T.

Boire un verre d’eau consigné au bar

Suivre du regard les lasers

Avoir chaud, très chaud

Se foutre torse poil dans la foule

Mastiquer un chewing-gum

Faire dix allers-retours aux chiottes

Toucher des épaules nues des corps

Embrasser dans le cou ou sur la bouche les copains, tous les copains

Danser jusqu’à cinq heures du matin et jusqu’à plus soif

Partir avant la fermeture des portes en entraînent le garçon

Boire un grand verre d’eau en rentrant

Pisser

Baiser

Dormir enlacés

Florian Bardou


Gestomètre du 23 février 2023

Traduire un jour, bien plus long que 24 heures : mais de quelle durée ?

(écrit chez moi, vers 8 h 30, à la main, au stylo à l’encre noire, le 1er juillet 2022)

Réveil heureux (encore vivante)
de bonne heure
et après seulement (heureusement)
quatre heures de sommeil,
comme chaque jour, depuis deux-trois ans.
Et comme chaque jour, le rituel qui fait naître –
mon premier café
(suivi par cinq-six autres dans la journée) :
le café-news (facebook/messenger)
le café-socle du jour naissant,
de la vie de plus en plus renaissante :
heureuse comme un
coq vivant
qui ignore la pâte,
la croûte qui l’attend
quelque part.
Lui – droit sur ses pattes
Moi – droite dans mes bottes
toute la journée.
Je prends d’abord mes quatre heures de lecture et écriture –
traduction, en fait, les deux,
quand lire ce n’est qu’interpréter
tout qui nous arrive à travers les mots des autres
mélangés aux nôtres.
Le tout panaché de deux autres cafés.
Pas de petit-déjeuner.
(Ingmar Bergman ne mangeait qu’une fois par jour,
vers 17 heures – et n’a créé que des chefs-d’œuvre)

Je meurs d’évoluer parmi les opinions / les étiquettes des autres
Sur mes écrits, mes livres,
mais aussi sur le monde :
tout le monde traduit tout le monde.
Mais tout est à la fois juste et faux.

Brouillard éclairant !

J’ai toujours aimé la brume,
celle qui traînait dans les champs
ou entre les collines de Transylvanie, en Roumanie,
et maintenant celles d’entre les collines ou sur les champs de la Manche.
La brume – mais le brouillard ?
Seulement lui surprenant et éclairant !
Le voilà arrivé, en plein été,
dans mon jardin à Coutances.
Vu, senti et savouré depuis mes fenêtres, d’abord,
ensuite depuis la terre même.
Je meurs d’évoluer heureuse
dans le brouillard coutançais –
ou… contemporain : celui de mon temps !

Applaudissements fournis.
Rideau.

Vers midi : le tour du jardin et du potager,
suivi du travail, selon leur besoin,
pendant plusieurs heures.
Déjeuner – ou pas,
selon les urgences de la Dame-Nature.
Et ce qu’elle veut (la femme),
Je (Dieu) le veux(t) aussi.
Mon chat-mouton, le ventre
aux poils longs et bien bouclés,
contrairement au dos – les poils longs mais bien droits,
vagabondin ou sauvageon
(mais telle maîtresse, tel chat !)
me rejoint de temps à l’autre :
jardinier apprenti aussi,
il laboure la terre de ses pattes et… de son dos.
Je le nourris, je le caresse
et le tour du jour est joué.
Mon déjeuner est devenu mon dîner.
Les derniers cafés et les infos du soir,
cette fois-ci sur deux chaînes youtube en direct.
Film aussi – l’embarras du choix.

Je m’endors.

Sanda Voïca