Entre 1853 et 1855, Victor Hugo, sa famille et ses amis s’adonnent régulièrement à des séances de spiritisme, à Jersey. Pour l’intensité formidable de ces dialogues d’un groupe d’exilés avec une entité spirituelle, nous l’aimons beaucoup. Voici un extrait de la transcription de leur première séance, qui a eu lieu le dimanche 11 septembre 1853.
(Procès verbal : Auguste Vacquerie)
Delphine de Girardin dit : Y a-t-il quelqu’un ? S’il y a quelqu’un et qu’il veuille nous parler, qu’il frappe un coup.
La griffe retomba avec un bruit sec.
Il y a quelqu’un ! s’écria Mme de Girardin ; faites vos questions.
On fit des questions, et la Table répondit.
Delphine de Girardin questionne aussitôt : Qui es-tu ?
La table lève un pied et ne le baisse plus.
Delphine de Girardin interroge à nouveau : Y a-t-il quelque chose qui te gêne ? Si oui, frappe un coup ; sinon, deux coups.
La table frappe un coup.
Delphine de Girardin demande : Quoi ?
Losange.
Nous étions en losange, aux deux côtés d’un angle de la grande table. On va chercher une autre table sur laquelle on met la petite. Mme de Girardin et Charles Hugo se placent de façon à couper la table support. La table s’agite à nouveau. Le général Le Flô l’interroge sur ce qu’il pense à cet instant.
Fidélité, répond la table.
Le général pensait à sa femme.
« Je n’étais pas convaincu, remarque Vacquerie, je trouvais si ingénieux et si spirituel de répondre fidélité à un mari qui pense à sa femme, que j’attribuais la réponse à Mme de Girardin. »
Pour être sûr que ce n’était pas Mme de Girardin qui agissait, Auguste Vacquerie demande à tenir la table avec Charles, il pense un nom et demande :
Quel est le nom que je pense ?
La table tourne, se lève et dit :
Hugo.
« C’était le nom en effet, confesse Vacquerie, c’est à ce moment que j’ai commencé à croire. »
Mais depuis quelques moments, Mme de Girardin se sent émue et demande de ne pas perdre de temps en questions puériles. Elle pressent une grande apparition. La Table ayant annoncé qu’elle était gênée par l’incrédulité de l’un des participants, on lui demanda de l’identifier. Elle répondit : « Blond ». En effet, M. de Tréveneuc, très blond, était le plus incrédule de tous. La Table ne tient pas à ce qu’il sorte mais s’agite et refuse de répondre. Auguste Vacquerie quitte celle-ci et le général Le Flô le remplace aux côtés de Charles. On interroge la table sur son identité.
Fille.
Le général Le Flô ne pensait pas à sa fille, Auguste Vacquerie ajoute aussitôt :
À qui est-ce que je pense ?
Morte.
Tout le monde pense à la fille que Victor Hugo, qui n’est pas encore intervenu, a perdue.
Delphine de Girardin demande : Qui es-tu ?
Ame soror.
Quatre personnes autour de la table avaient perdu une fille : le général Le Flô, Delphine de Girardin et les frères Hugo. La Table avait-elle dit soror en latin pour dire qu’elle était sœur d’un homme ?
De qui es-tu la sœur ? demande le général Le Flô.
Doute.
Ton pays ?
France.
Ta ville ?
Pas de réponse.
« Nous sentons tous la présence de la morte, note Vacquerie, tout le monde pleure. »
Victor Hugo intervient alors pour la première fois et demande :
Es-tu heureuse ?
Oui.
Où es-tu ?
Lumière.
Que faut-il pour aller à toi ?
Aimer.
À partir de ce moment, les neuf participants sont de plus en plus émus. La Table, comme se sentant comprise, n’hésite plus et répond immédiatement. Mme de Girardin demande :
Qui t’envoie ?
Bon Dieu.
Delphine de Girardin invite la Table à parler d’elle-même : As-tu quelque chose à nous dire ?
Oui.
Quoi ?
Souffrez pour l’autre monde.
Vois-tu la souffrance de ceux qui t’aiment ? demande, bouleversé, Victor Hugo.
Oui.
Souffriront-ils longtemps ? interroge Mme de Girardin.
Non.
Rentreront-ils bientôt en France ?
La Table ne répond pas.