Relation parfaitement authentique de la soirée du 15 septembre 2007, rédigée par Samuel Deshayes & Guillaume Marie et publiée à l’origine dans Arago, Claire (éditions Pou 2022).
- Ce fut comme une apparition
Guillaume
Je me souviens de 2007. Nous étions Claire et moi dans une phase un peu, disons, approximative. Nous ne savions pas tellement où nos chemins nous menaient. Mais ce soir-là au moins c’était évident : nos chemins nous menaient au Chat qui pêche.
Au Chat qui pêche il y avait un monsieur chauve qui servait les boissons, de la musique infâme dans les baffles, des tas de statuettes de chats sur les étagères, et Samuel Deshayes assis à sa table.
Sur sa table, une pinte était à moitié bue. Il griffonnait sur un carnet d’un air très concentré, jouant le rôle parfait du poète de bistrot. Nous nous sommes assis à sa table. J’ai dit : Sam, je te présente Claire Arago.
Samuel
Je me suis levé par réflexe, parce que j’étais décontenancé, et en me levant j’ai cogné dans la table, et j’ai mis mes mains devant les yeux parce qu’en me levant j’étais pile dans l’axe du gros spot qui inondait la salle du Chat qui pêche.
J’essayais d’apercevoir la silhouette et la figure de Claire Arago mais je ne voyais qu’une ombre à contre-jour. Je ne voyais pas plus le visage de Guillaume Marie, et au lieu d’essayer de dire quelque chose ou de me rasseoir je me demandais s’il arborait son sourire moqueur ou s’il regrettait déjà de m’avoir trouvé là et d’avoir fait les présentations.
C’est que j’attendais quelqu’un, j’ai dit, tu comprends.
Un hoquet s’est échappé de l’ombre de Claire Arago.
J’ai montré le carnet sur la table. Guillaume a regardé le dessin à l’encre noire, un poulpe.
C’est Alcarr Iceol qui fait ça. Elle doit venir le récupérer.
Alcarr
J’avais reçu un texto de Samuel. Le texto disait : Alcarr je suis au Chat qui pêche avec Guillaume et quelqu’un d’autre par pitié viens. J’avais envoyé à Guillaume : Qu’est-ce qu’il a Samuel ? Guillaume : Quoi ? Moi : Tu es au Chat qui pêche ? Guillaume : Il paraît ! Samuel : T’as reçu mon texto ? Guillaume : Qu’est-ce qu’il a Samuel ? Moi : Tu le vois pas ? Guillaume : Si, parfaitement ! Samuel : C’est à toi que Guillaume envoie des textos ? Guillaume : Alcarr tu prendras quoi ? Qu’on commande. Moi : C’est qui l’autre ? Samuel : On pourrait écrire un poème de mille pages, ce soir. Moi : une pinte de ce que tu veux. Moi : Tu crois ? Guillaume : Viens vite, Samuel est déjà à fond, il m’énerve. Samuel : Imagine, cent cinquante sonnets acrostiches, on a toute la nuit pour ça, viens donc. Moi : Je change une roue et j’arrive. Guillaume : On en tient déjà une bonne. Moi : Prends quand même en happy hour. Samuel : On pourrait réécrire La Divine Comédie mais en acrostiche. Guillaume : Tarde pas trop quand même Samuel tient plus en place ! Moi : Je n’arrive pas à changer ma roue avec mon téléphone qui vibre tout le temps commencez sans moi. Samuel : Alcarr tu pourrais en plus faire des portraits de la fille avec Guillaume, son profil est pas banal. Moi : J’aime pas La Divine comédie. Moi : Plutôt une IPA s’ils ont, mais pas trop chère. Moi : en pinte. Moi : Commandez aussi une planche de fromage. Moi : Tu ne m’as pas répondu sur l’autre. Samuel : J’aimerais bien écrire une trilogie de gros romans aussi, si on a le temps. Samuel : Elle s’appelle Claire Arago.
Je connaissais bien le Chat qui pêche. Bien aussi Guillaume, un peu moins Samuel (je lui avais dessiné un poulpe, une fois, dans le carnet qu’il avait toujours sur lui à ce moment-là) et encore moins l’autre fille. Il pleuvait sur Rennes ce jour-là, Jacques.
Jacques
Il était 17h23 exactement. Mais je me rappelle d’un beau soleil. Les clients habituels. La musique habituelle.
Guillaume
Pourtant la nuit tombait déjà. Nous nous sommes assis, tous les trois, à la table, et tout le monde était sur son portable à envoyer des textos. Mon téléphone n’arrêtait pas de vibrer. Claire n’arrêtait pas de se taire.
Samuel
C’est faux. Pas les textos mais le contenu. J’écrirais pas des trucs comme ça. Alcarr aime bien inventer, pas que des textos. Alcarr a fini par passer la porte.
- Envoûtement
Guillaume
Je me souviens qu’à un moment nous étions enfin quatre à table. Jacques nous avait apporté une planche de fromage. Alcarr nous parlait de sa roue.
Claire, que dire ? Samuel regardait Claire. Alcarr regardait Claire. Je regardais le morceau de camembert qui restait sur la planche. Claire nous souriait.
La playlist du café est passée à Mina. C’était Amor Mio. Claire s’est mise à chantonner : Tu, amor mio, chi ti ha amato in questo mondo, solo io.
Samuel
Je me souviens d’Alcarr maquillée de cambouis. Un cric sous le bras. Je me souviens de Claire, assise parmi nous mais pas tout à fait. Elle chantait une vieille soupe. Je me souviens de Guillaume, un morceau de fromage dans la main droite, sa pinte à moitié bue dans l’autre. Je me souviens de moi, observant d’un air faussement détaché la scène, prenant des notes discrètement.
Alcarr
Samuel était très exalté, comme d’habitude. Guillaume encore plus, ce qui était plutôt étonnant. Ils buvaient autant de bière l’un que l’autre. La tête de Claire roulait de droite à gauche. Les hanches de Claire roulaient dans le même temps de gauche à droite. Les yeux de Claire roulaient au ciel. Plus de pupille. Blanc de blanc.
Jacques
Le cambouis est une graisse ou huile ayant servi à lubrifier les organes d’un moteur, d’une machine, et qui a été noircie par le frottement, les poussières entraînées et les particules métalliques arrachées.
Le Chat qui pêche
Des coups ça mord. Des coups ça mord pas.
Alcarr
Ça mordait dans le fromage. Samuel disait : J’ai lu dans Sac au dos.
Guillaume : Le camembert est une chose sacrée.
Le Chat qui pêche: Sur les huit heures du matin, madame Guillaume surprit sa fille
Moi : Nous demandions à Jacques un nouvel arrivage.
Samuel : La puberté de la sottise m’était venue.
Guillaume : Pour moi encore une pinte.
Le Chat qui pêche: pâle, les yeux rouges, la coiffure en désordre, tenant à la main un mouchoir
Samuel : Tu connais pas d’Esternod ?… A faute de souliers, et n’ont faute de crottes
Guillaume : C’étaient de très grands vents, sur toutes faces de ce monde, de très grands vents en liesse par le monde
Le Chat qui pêche: trempé de pleurs, contemplant sur le parquet les fragments épars d’une toile déchirée et les morceaux d’un grand cadre mis en pièce.
Moi : J’ai un besoin terrible de religion, alors je vais la nuit dehors pour peindre les étoiles.
Guillaume : Saint John
Samuel : Encre, sève de l’esprit et sang de la pensée – C’est Claudel
Guillaume : Perse.
Claire : (un soupir).
Moi : Van Gogh.
Le Chat qui pêche : La Maison du Chat-qui-pelote.
Claire
L’éléphant se laisse caresser. Le pou, non.
- Troisième station
Alors le Chat s’arrêta de pêcher.
Alors Jacques s’arrêta de pécher (il avait des pensées méchantes).
Alors Samuel arrêta de prêcher (il avait des prêches chiants).
Alors Claire caressa, avec nonchalance, son coude.
Alors son coude se plia.
Alors le pli qui régit la tenue du monde se tint coi.
Alors le tain du miroir du Chat qui pêche décida de réfléchir.
Alors la réflexion du Chat vit que tout cela était bon.
Alors la bonté du Chat s’épanouit.
Alors la nouit tomba.
Alors le son du tuba résonna clair.
Alors Claire planta méchamment ses griffes dans la tête du dieu prêcheur et en suça le sang au pli du coude, le fit plier, qu’il se tienne coi, pu…tain, bon réflexe nocturne et sonnant.
Alcarr
Claire est un parasite permanent et spécifique, toute sa vie s’effectue dans une ambiance stable quant à la température et l’humidité : celle du tégument humain, sous les vêtements ou dans la chevelure. Elle ne quitte pas volontiers son hôte car elle ne peut aller loin et meurt en quelques jours si elle ne rencontre pas une autre victime.
- Clarté d’âmes
Guillaume
La musique s’était arrêtée.
Jacques nous regardait, partir.
Rennes
Mes rues étaient plus vides.
Samuel
La nuit blanchissait comme un linge. Vapeurs javellisées.
L’agent de nettoyage
L’aube était bien claire.
Alcarr
Et Claire était bien ob
Guillaume
ligée d’admettre avec nous
Samuel
que comme roue à aubes elle
Alcarr
tournait avec le courant.
Guillaume
Ses os sous ses habits saillaient
Samuel
sur les nues elle se détachait
L’agent de nettoyage
Des produits qu’il faut, toujours plus forts
Alcarr
les mèches de ses cheveux
en tombant
sur ses épaules
s‘emmêlaient
Méphistophélès
Je savais gouverner les sorcières nordiques
Mais comment manier cet esprit exotique ?
Guillaume
Hic
Victor
et l’aurore apparut, éblouie.