Dans la détestation
honnête
des choses
dans la lucidité
de la solitude des choses
de la stupidité des formes
d’action
dans la grandeur du non-agir
et dans l’amour des petites choses
dans la fleur dans le pot dans le vase
dans la courroie dans le moteur
dans le pivot
dans le fauteuil qui est ce soir devant la table
dans le rire entendu du passant
dans le ciel qui tombe
presque littéralement
sur la terrasse ce soir
dans la présence animale
des lumières de la ville
dans le geste du bus de s’arrêter au feu
dans le passage des cycles au bas de notre immeuble
et le faux phare au loin
de la tour Eiffel
dans le faisceau du phare
et l’envie d’en sortir
dans l’immédiat passage
d’une charrette à six places
dans la musique du soir
qu’on entend aux Lilas
et les grands oiseaux mâles
qui draguent leurs aimées
cris chants diarrhées
dans l’aboiement grave
du chien de la concierge
dans ses cris qui essaient
de nous avertir d’un danger
mais lequel
dans les quelques secondes de silence
entre chaque événement ce soir
dans la terrasse sèche sans toit sans murs
dans cette pièce au vent ouverte
et grande
dans cet appareil commun
dans cet orgueil démesuré
qu’est le moindre immeuble de quelques étages
dans ce laps de temps où le silence se fait enfin
mais pour quelques secondes
dans l’apport du climat
qui engendre parfois
des notes humides
au concert
dans l’arrivée d’un train qu’on entend même ici
dans l’ouverture
dans l’espace entre le bruit d’en bas
et l’harmonie des ciels
dans ma chair et mes doigts qui touchent
ce moment
dans l’air encore qui panique
quand d’un coup les voitures se font rares
et qu’il n’y a plus que les lointains avions
pour combler le peu de répit sonore
dans l’air suspendu
dans l’air de ce soir tandis que la nuit continue
de descendre
l’air de rien et que les bus n’ont plus la même fréquence
tandis que le faux phare continue son balayage
des ciels bas fascinés
et que le froid parvient peu à peu à monter des dessous
dans l’épaisseur qui vient aux choses
dans la tentation d’arriver bas au contact des choses
très près des choses où passent les bus
arrêtés aux feux rouges
dans la composition
des particules des choses
dans les ciels
quand ils sont au-dessus
des choses
et quand ils sont au-delà
de mon appréhension
dans la noirceur qui prend les murs de la terrasse
et mon bras sur ce clavier
dans mes doigts qui ne savent plus
où sont les lettres a t ou d
du clavier
dans le son du clavier dans la nuit qui commence
ce petit son métallique et aveugle
dans la fenêtre ouverte
d’où sort toujours le bruit
de ma radio
et dans le vide enfin
de ces phrases qui s’effacent devant la progression
de la nuit et du froid
dans la nuit j’utilise
toujours mes doigts
et les oiseaux de nuit
doivent être déjà sortis
j’en entends
je crois
au-delà du carrefour
dans le balbutiement
de la nuit qui commence
je laisse les oiseaux
hululer sur des choses
dans les choses qui tombent
il y a la nuit ce soir
et mes doigts
sur le clavier sombre
j’envie les matins
et pour attendre au chaud le prochain
je rentre
en fermant la fenêtre
et mon ordinateur
je m’installe
dans la nuit qui est là
Ce poème est extrait d’Exposition de reptiles vivants, éditions Lanskine, 2021